Folder, La Galerie, Noisy-le-sec, Paris avril 2010 A perte de vue

A premier abord, les photographies que Corina Bezzola donne à voir dans l’exposition Ausblicke / perspectives semblent indiquer une orientation radicalement nouvelle dans son travail artistique. Ces paysages, pour la plupart urbains, paraissent en effet bien éloignés des interventions formelles au ruban adhésif – ou autres matériaux « pauvres » - aux moyens desquelles Bezzola souligne certaines lignes architectoniques d’un espace pour mieux se jouer de son interprétation première. La perception du lieu glisse alors subrepticement hors de l’ordre de l’évidence, et Bezzola contraint le spectateur à réinterpréter la totalité de l’espace dans lequel il est entré, en tentant de poursuivre les perspectives marquées par l’artiste. Un ajout, souvent léger, suffit à provoquer une perte de repère, appelant immédiatement à combler ce vide, à reconstruire l’espace.

La série de photos Ausblicke vient de fait prolonger la réflexion sur la perception et l’interprétation d’un lieu donné. En l’occurrence, Bezzola montre des vues prises depuis des intérieurs de collectionneurs. Elle a porté son objectif sur ce que l’on voit à travers les fenêtres de ces amateurs d’art, c’est-à-dire juste à côté de ce qu’on est supposé regarder lorsqu’on visite un espace d’exposition. En attirant ainsi notre regard hors des points de convergences « naturelles » que constituent les œuvres, Bezzola ajoute une couche quasi schizophrénique à cette interrogation puisque qu’elle le fait précisément au moyen d’une œuvre. Elle met ainsi en perspective tant le regard que l’on porte sur ce qui nous est donné à voir que le statut de ce qui doit être vu.

Pour parvenir à montrer ce qu’un collectionneur voit depuis ses fenêtres, faut-il encore avoir accès à son intérieur, ce qui, dans certains cas, relève du défi. Pour Bezzola, parvenir à rencontrer le collectionneur, faire sa connaissance et le convaincre de sa démarche, fait entièrement partie du processus créatif. Les relations avec le propriétaire, ses réactions, sa personnalité vont influer sur la prise de vue qui permettra en quelque sorte d’en capturer la personnalité pour mieux en déconstruire l’image. Si la photo résultante se retrouvait sur les murs de ce même collectionneur, elle lui offrirait sans doute un miroir déformant dont le reflet se laisserait plus difficilement embrasser du regard qu’il n’y paraissait à première vue.

Arthur de Pury, Directeur du CAN (Cenrte d'art, Neuchâtel)

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